Lumière de lune dans la forêt

...Et cette lumière semble venir du coeur du monde. Elle descend du ciel et monte de la terre pour former comme un brasier de beauté. Oui, c'est ça, un brasier de beauté! Et pourtant il fait nuit, une nuit noire car de sombres nuages recouvrent le croissant de lune, accompagnés de souffles d'air annonciateurs d'orage...

... J'étais là, assis auprès de Noïark et je me suis senti soudain obligé, au lieu de prendre le chemin du retour, d'aller voir un peu plus loin, dans la forêt : pourtant aucun motif ne m'y poussait. C'est alors que, pris dans une obscurité totale, je me suis perdu. Moi qui croyais connaître cette forêt, j'ai tourné et tourné et il me semblait que j'allais errer pour l'éternité. Et soudain, après m'être égratigné aux ronciers, après m'être accrochés aux arbustes, j'ai débouché dans cette minuscule clairière et c'est là que je l'ai vue, cette lumière...

... Elle est toute blanche, si blanche que l'on dirait de la neige incendiée de lune et pourtant elle ne me blesse pas la vue. C'est une nourriture que de la contempler ! Et je reste là sans pouvoir bouger, pris par un charme indéfinissable. J'ai l'impression de m'être perdu dans une des plus belles images d'un contes de fées.

Le monde n'existe plus, hormis ce monde-là. Est-ce le monde qui est en moi car je lui trouve un air de familiarité avec mes rêves ? Je ne peux qu'être et regarder.

Oh ! Cette lumière ! Toi qui me lis, il faut que tu la voies à travers mes yeux, que tu la goûtes avec mon esprit, que ton coeur batte au rythme de sa beauté, car elle bat en secret, elle pulse, j'en suis sûr. Regarde-là. Que tes yeux s'agrandissent ! Qu'ils mangent tout ton visage ! Que tu ne vois plus qu'un oeil, rien qu'un oeil qui respire et s'emplit d'elle !...

Est-ce l'âme de la forêt, faite de lumière ? Est-ce l'âme de la forêt mêlée à l'âme du monde ?... Est-ce... ?

_ Chut, chut et chut, me dit mon esprit. Je ne veux plus me poser de questions, mais regarder, car toute définition en ce moment pourrait altérer la simplicité de mon regard.

Et l'oeil géant que je suis devenu et qui porte aussi l'éclat de ton regard s'emplit de cette neige fluide et transparente, de cette neige d'amour qui semble descendre des étoiles.

Et naturellement je me donne à cette lumière : peut-être porte-t-elle l'image de ma perfection...

Et je me mets à genoux car elle est la prière pure et je veux que mon attitude lui rende en humilité le pouvoir de cette prière.

Je suis comme un tout petit enfant face à la beauté de la vie qu'il vient de découvrir : c'est une beauté qui concerne l'au-delà de son âme, une beauté qu'il a déjà connue et qui le relie au parfum des étoiles. Car les étoiles ont un parfum, comme le soleil. C'est un parfum d'éclat que respire l'âme, un parfum qui, lorsqu'on s'en emplit, vous rend à jamais amoureux de la vie, de cette vie qui coule en soi...

... Et je reste ainsi un long moment. Combien de temps ? Une seconde, un siècle, un millénaire, une éternité ? Qu'importe !... Sous mes genoux la terre est mon meilleur prie-Dieu.

Un déchirement de nuages révélant de nouveau la clarté de la lune me fait sortir de mon état d'adoration. Elle dissout dans sa lumière cette Lumière surnaturelle qui a ses racines dans le coeurs des arbres et dans le ciel.

Et guidé par la lune, je retrouve le chemin de Noïark et contre lui je vais m'adosser, pour mieux rêver à Elle.

_ Je sais qu'Elle est en moi maintenant, lui dis-je, je te remercie, car je suis sûr que c'est toi qui m'as conduit vers Elle.

_ C'est aussi quelque chose en toi qui a voulu la voir : on ne peut voir la beauté que si on est prêt à la recevoir.

_ J'ai senti qu'elle m'éclairait jusque dans mes obscurités les plus profondes. Qu'est-elle vraiment cette lumière ?

_ Chut, chut et chut, ne cherche pas à savoir. Laisse-la vivre en toi dans la dimension de son mystère, conclut Noïark..

Mario Mercier